Le marketing des médicaments : une pratique à questionner

Ces dernières années, comme chacun de nous, j’ai pu constater la diffusion toujours plus large des publicités concernant certains médicaments d’ordonnance. Certes, les compagnies pharmaceutiques sont avant tout des entreprises, il est donc dans leur nature de chercher à faire la promotion de leurs produits brevetés. Mais enfin, ce phénomène atteint désormais une ampleur jamais vue auparavant.

On ne le répétera jamais assez : le médicament n’est pas un produit de consommation comme les autres que l’on peut employer sans se soucier des conséquences. C’est la raison pour laquelle les lois canadiennes encadrent la publicité sur les médicaments d’ordonnance. La promotion auprès de la population doit se limiter à nommer le médicament ou l’indication, mais pas les deux. Jusqu’à maintenant, cela faisait en sorte que le patient dût consulter un professionnel pour se renseigner, mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les influenceurs et l’accès à l’information sur Internet, ce n’est plus la même chose. De plus en plus, la population obtient ces informations par elle-même et demande à son médecin, son infirmier praticien spécialisé (IPS) ou son pharmacien d’avoir accès au médicament qui l’intéresse.

Habituellement, une équipe traitante suit son patient et choisit un médicament en fonction de sa condition, de son âge, du degré de gravité de son problème de santé, bref, elle veille à ce que son traitement soit adapté à ses besoins. La relation de confiance entre le soignant et le patient repose sur ce principe. Or, lorsque la publicité interfère dans cette relation, elle peut la dégrader. Il arrive que le patient ne comprenne pas pourquoi on refuse de lui prescrire ce médicament dont il a entendu dire qu’il était « miraculeux » et pouvait résoudre sa condition sans effort. La réalité, c’est que ces produits ne sont souvent pas des premiers choix pour les prescripteurs : il n’est pas rare qu’il existe des alternatives aussi efficaces, mais moins coûteuses. Ces publicités mettent une pression sur les coûts et sur les réseaux de santé, aussi bien privés que publics. En outre, cela peut provoquer une pénurie de certains médicaments, mettant en difficulté les malades qui en ont réellement besoin. 

On peut difficilement envisager une interdiction totale de ces publicités, elle serait complexe au plan législatif. Un phénomène en particulier serait ardu à qualifier et encadrer, celui des influenceurs : il est très pernicieux car compliqué à cerner. Peut-on considérer qu’une personne qui parle des produits qu’elle utilise personnellement, sans encourager formellement ses abonnés à l’imiter, fait de la publicité? Exerce-t-elle une pratique illégale de la médecine? De la pharmacie? D’un autre côté, pourra-t-on lancer des poursuites contre ces gens, en particulier ceux qui se trouvent dans d’autres provinces, voire dans d’autres pays?

À mes yeux, le meilleur rempart contre cette situation, ce sont les professionnels de la santé eux-mêmes et leur intégrité professionnelle. Mes collègues pharmaciens connaissent leur métier, ils réfléchissent en fonction de l’intérêt du patient, et non des recommandations d’influenceurs de TikTok. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos patients ont confiance en nous et en notre jugement. L’enjeu, c’est de communiquer fortement pour avertir les gens et les ramener vers les professionnels de santé, qu’il soit admis dans la population qu’on ne prend pas de décision de santé en fonction de ce qu’une entreprise cherche à nous vendre. Mon objectif, en tant que président de l’Ordre des pharmaciens et pharmacien moi-même, c’est d’utiliser tous les moyens disponibles pour informer et protéger la population.

Jean-François Desgagné

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2 commentaires

  1. Bonjour, les enjeux économiques et sanitaires sont déséquilibrés. L’alternative est le renforcement de la législation qui s’impose pour les professionnels de la santé et non professionnels. Aussi, prévoir une contre-offensive professionnelle par une sensibilisation massive du grand public des risques encourus d’un mésusage, d’une surconsommation des produits de santé en général bien encadrés.

    Mr ABARKANE Mohamed
    Docteur en Pharmacie et Docteur en Droit