Quid de la responsabilité du fabricant dans la pénurie d’Ozempic ?

Lettre ouverte de Jean-François Desgagné, président de l’Ordre, publiée dans Le Devoir le 30 novembre 2023.

Depuis quelque temps, il ne se passe pas une semaine sans que des médias évoquent l’actuelle pénurie d’Ozempic, le médicament développé pour traiter le diabète de type 2, mais largement utilisé pour la perte de poids.

Les patients se présentent en pharmacie paniqués à l’idée de ne pas pouvoir obtenir un traitement qu’ils tolèrent bien, et dont ils ont l’habitude. Les équipes — pharmaciens et assistants techniques — mettent tout en oeuvre pour accompagner au mieux ces patients. Elles changent parfois le dosage du médicament ou remplacent celui-ci par un autre, mais elles ne laissent personne sans option.

La situation vécue actuellement est quand même ironique. Il y a deux ans, peu de gens savaient ce qu’était l’Ozempic. En dehors des patients diabétiques qui avaient l’habitude de ce traitement, la majorité de la population n’avait, pour ainsi dire, jamais entendu parler de ce produit.

Ça, c’était avant que le fabricant déploie des ressources considérables pour le faire connaître. Publicités pendant les Jeux olympiques de Pékin, les matchs de hockey, les émissions les plus regardées. Placardage de logos dans tous les arénas, les stades de baseball, de football… « Parlez-en à votre médecin », qu’on nous dit.

Ces publicités n’évoquent jamais directement le diabète de type 2 ou la perte de poids, car Santé Canada interdit que le nom et l’indication d’un médicament d’ordonnance soient précisés dans la promotion faite auprès de la population. Mais l’industrie a trouvé d’autres moyens d’arriver à ses fins : le recours aux influenceurs, qui vantent les vertus de leurs produits.

À l’Ordre des pharmaciens du Québec, nous ressentons un malaise devant tout ça. L’industrie pharmaceutique a bien compris qu’en 2023, avec l’accès à Internet, le seul fait d’évoquer le nom d’un médicament contribue à augmenter la pression sur les prescripteurs.

Mais est-ce que la population a le droit de savoir ? direz-vous. À cette question, la réponse est oui. Mais avec le marketing, on ne vend pas la réalité, on vend du rêve. Et les gens arrivent dans les cabinets médicaux avec ce rêve en tête.

Habituellement, une équipe traitante suit son patient et choisit un médicament en fonction de sa condition, de son âge, du degré de gravité de son problème de santé, bref, elle veille à ce que son traitement soit adapté à ses besoins. La relation de confiance entre le soignant et le patient repose sur ce principe.

Or, lorsque la publicité interfère dans cette relation, elle peut la dégrader. Il arrive que le patient ne comprenne pas pourquoi on refuse de lui prescrire ce médicament dont il a entendu dire qu’il était « miraculeux » et pouvait résoudre son problème sans effort. La réalité, c’est que ces produits ne sont souvent pas le premier choix des prescripteurs : il n’est pas rare qu’il existe des produits aussi efficaces, mais moins coûteux. Ces publicités exercent une pression sur les coûts et sur les réseaux de santé, aussi bien privés que publics. En outre, comme on le voit actuellement, elles peuvent provoquer des pénuries, mettant en difficulté les malades qui ont le plus besoin de ces médicaments.

Nous ne nous faisons pas d’illusions : la réglementation entourant la publicité des médicaments d’ordonnance ne changera pas demain matin. Nous appelons donc les compagnies à faire preuve de sens éthique. Si vous créez des attentes auprès des patients, assurez-vous d’être en mesure d’y répondre par la suite. Et la moindre des choses, à ce moment-ci, serait de cesser de faire la promotion d’un médicament que vous n’avez pas la capacité de livrer.