Lettre ouverte : Médicaments dits « de spécialité » : attention aux amalgames

Par Jean-François Desgagné, président de l’Ordre des pharmaciens du Québec

Dans une entrevue récemment accordée à Profession Santé, Brigitte Viel, directrice générale du Regroupement des pharmacies de médicaments de spécialité du Québec (RPMSQ), a partagé certains propos qui nécessitent d’être corrigés. Je me permets de le faire dans ces lignes.

Médicaments « de spécialité » ne veut pas dire spécialisation

D’entrée de jeu, Madame Viel mentionne qu’il y a une importance à reconnaître la spécialité en pharmacie. Sur cet aspect, nous sommes d’accord.

L’Ordre tente depuis plusieurs années de faire reconnaître une spécialisation en pharmacothérapie avancée afin de pouvoir permettre aux pharmaciens et pharmaciennes de prodiguer des soins pharmaceutiques avancés auprès d’une clientèle instable en traitant notamment des problèmes de santé complexes. Nous souhaitons que le Plan Santé et le projet de loi 67 récemment déposé à l’Assemblée nationale nous donnent l’opportunité d’y arriver.

Maintenant, au Québec, un des éléments incontournables qui permet de reconnaître une spécialité est la réussite d’une formation. Les infirmières praticiennes spécialisées en sont un bon exemple; leur titre de spécialiste est octroyé par leur ordre professionnel à la suite de la réussite d’une maîtrise universitaire de 2e cycle reconnue. De la même façon, en pharmacie, nous souhaitons que le statut de spécialiste soit accordé aux détenteur(rice)s de la maîtrise en pharmacothérapie avancée (communautaire ou établissement de santé). Cette maîtrise comporte 60 crédits et dure de 16 à 18 mois. Elle forme des pharmaciens et pharmaciennes pouvant exercer dans une variété de secteurs en interdisciplinarité et assurer l’efficacité et la sécurité lors du recours à une thérapie médicamenteuse variée et complexe.

Madame Viel affirme que les pharmaciens et pharmaciennes qu’elle représente ont une « expérience de terrain » et une « connaissance interne ». Elle ajoute qu’ils et elles sont disposé(e)s à suivre la formation nécessaire pour accéder à ce statut comme s’il s’agissait d’une formalité. Associer la pratique des membres de son regroupement à une pratique pouvant être reconnue comme une spécialité constitue un raccourci.

La distribution, le respect de la chaîne de froid et la gestion des effets indésirables

En voulant expliquer la plus-value des pharmacies qu’elle représente, Madame Viel évoque la distribution, le respect de la chaîne de froid et la gestion des effets indésirables. En somme, elle met de l’avant les standards de pratique de tous les membres de notre profession. Tou(te)s les pharmacien(ne)s gèrent la chaîne de froid et font la gestion des effets indésirables pour les médicaments qu’ils servent. C’est l’essence même de la profession.

De plus, passer 45 minutes pour la « prise en charge initiale » de certains patients ne relève pas de l’extraordinaire, mais bien de la bonne pratique, particulièrement pour les patient(e)s recevant plusieurs médicaments ou ayant plusieurs comorbidités.

Pour une continuité des soins

À l’Ordre, nous nous questionnons sur le modèle voulant qu’on scinde les soins en fonction des médicaments, et dans lequel le ou la patient(e) semble intégré(e) dans un système.

Dans une perspective de prise en charge du patient ou de la patiente dans sa globalité, il est préférable qu’il ou elle obtienne ses soins et services pharmaceutiques à un seul endroit. Maintenant, dans l’exercice de leurs fonctions, les pharmacien(ne)s doivent tenir compte de leurs capacités et limites et, consulter un(e) autre pharmacien(e) si l’intérêt du patient ou de la patiente l’exige. Ainsi, c’est à chaque pharmacien(ne) que devrait revenir le choix de collaborer avec un(e) collègue.

Au fil des ans, nous avons vu émerger différents modèles de pratiques. Comme ordre professionnel dont le mandat est de protéger le public, nous basons notre évaluation sur la qualité des soins et services, les risques associés et en tenant compte notamment des dimensions d’indépendance professionnelle et du respect de la déontologie. C’est l’approche que nous prenons toujours, et que nous prenons également face au modèle des pharmacies dites « de médicaments de spécialité ».