Nous avons une responsabilité professionnelle envers nos patient(e)s vulnérables
Je vais l’appeler Gaétan. Il y a quelques années, Gaétan a eu un accident qui l’empêche aujourd’hui de travailler. Aux prises avec d’importantes douleurs, il a commencé un traitement aux opioïdes. Les mois et les années passant, sa consommation a augmenté. Gaétan est entré dans une spirale de consommation, jusqu’à s’injecter son médicament. Il s’est mis à consulter plusieurs médecins pour obtenir des ordonnances. Après une surdose, l’évidence est apparue : Gaétan avait une dépendance.
Après plusieurs tentatives et rechutes de reprise en main, la médecin de Gaétan lui a proposé d’entreprendre un traitement de substitution par la méthadone. Gaétan y a réfléchi. C’était une grosse décision, mais il a décidé d’aller de l’avant : ce traitement lui permettrait sûrement de se stabiliser et de retrouver une certaine qualité de vie.
Cependant, lorsqu’il est allé dans sa pharmacie habituelle, on lui a annoncé que le service de méthadone n’était pas offert. La pharmacienne, gênée, lui a expliqué que cela représentait trop de contraintes et de risques pour son établissement. Gaétan s’est senti abandonné, impuissant face à cette décision qui menaçait son fragile rétablissement.
Votre rôle et vos responsabilités
Malheureusement, à l’Ordre, il nous est arrivé d’entendre des histoires comme celle de Gaétan. Des patient(e)s vulnérables se voient parfois refuser certains services pharmaceutiques essentiels, sous prétexte de considérations pratiques ou à cause de craintes. Pourtant, en tant que professionnel(le)s de santé, nous avons tous une responsabilité professionnelle d’offrir des soins globaux et adaptés à tous nos patient(e)s, sans à priori. Les traitements par agonistes aux opioïdes sont efficaces et diminuent la morbidité et la mortalité, en plus de prévenir les méfaits. Ces thérapies améliorent leur qualité de vie et la possibilité pour les personnes dépendantes de se réadapter.
Comme pharmacien ou pharmacienne, vous jouez un rôle crucial dans la prise en charge de patient(e)s aux parcours de soins complexes, notamment ceux et celles souffrant de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Lorsque vous acceptez un ou une patient(e) dans votre pharmacie, vous avez un contrat thérapeutique avec lui ou elle. Ce contrat implique que vous l’accompagniez dans sa globalité. Si certains soins et services pharmaceutiques ne sont pas à la portée de tous les milieux, ce n’est pas le cas du traitement à la méthadone.
Vous pouvez avoir un impact dans la crise des opioïdes
La crise des opioïdes persiste toujours et affecte de plus en plus de citoyen(ne)s. Comme pharmacien(ne), nous avons une responsabilité qui dépasse la distribution seule des médicaments. Cette responsabilité implique de la prévention, du soutien, de l’éducation et l’accompagnement de toutes nos clientèles, face à des enjeux sociaux comme la dépendance induite par les médicaments.
Imaginez que Gaétan doive faire une heure de route par jour pour obtenir son traitement de méthadone. Croyez-vous vraiment qu’il persévérera? Malgré toute sa bonne volonté, la distance augmentera les risques de rechute.
Des ressources pour vous soutenir
Si vous hésitez à offrir ces services par manque de connaissances, je vous invite à lire les lignes directrices sur le sujet. Des contrats peuvent être prévus avec vos patient(e)s qui se prévalent du service.
L’Institut national de santé publique offre une formation intitulée « Traitement du trouble lié à l’utilisation d’opioïdes : une approche de collaboration interdisciplinaire ». N’hésitez pas à vous y inscrire.
L’Ordre offre également une formation fort appréciée sur l’alliance thérapeutique à développer avec les patient(e)s souffrant de troubles de santé mentale. Consultez les détails ici.
Il n’y a pas de bon prétexte pour ne pas accompagner nos patient(e)s qui souffrent de dépendance aux opioïdes. Notre rôle est essentiel, d’autant plus auprès de nos clientèles vulnérables. Occupons-le! Gaétan nous en remerciera.
Le président de l’Ordre,
Jean-François Desgagné
Quelques liens d’intérêt :
- Guide clinique d’Accompagnement des personnes vivant avec un TUO
- Optimisation du rôle du pharmacien communautaire auprès des personnes en situation de précarité
- Induction par microdosage de buprénorphine-naloxone (SuboxoneMC) – Information pour le pharmacien
- Approvisionnement plus sécuritaire – fiche explicative pour les pharmaciens
- Équipe de soutien clinique et organisationnel en dépendance et itinérance – Outils cliniques et formations pour les pharmaciens